Mon mot à dire

Ecrire la lettre d’un avocat commis d’office pour défendre le Père Noël accusé de maltraitance.

Mr le Procureur, Mesdames et Messieurs les Juges, Mesdames et Messieurs les jurés, Chers Confrères…

Je ne vous ferai pas l’injure de vous présenter l’accusé aujourd’hui présent devant nous. Dans son box vitré, derrière son habit rouge, il fait grise mine. Et pourtant je dois rappeler qu’il a eu ses heures de gloire. Cette figure que la presse a inlassablement salie après l’avoir tant encensée appartient à un retraité pour le moins naïf qui n’a jamais atteint le stade adulte. Il a d’ailleurs déjà été condamné pour pédophilie ainsi que le Ministère Public n’a pas manqué de le rapporter. Certes, il a berné des générations entières d’enfants mais cela s’est toujours fait avec la complicité de leurs parents.

Moi, je voudrais insister sur son enfance chaotique, au milieu d’un couple parental migrant de Scandinavie en Italie, puis en Amérique et même jusqu’en Chine, dit-on. Toujours apatrides. Des sans domicile fixe chroniques oubliés de tous les services sociaux. En plus, mon client a été dès sa naissance atteint d’une maladie orpheline mystérieuse provoquant une frilosité extrême permanente, d’où son besoin obsessif de se rapprocher des cheminées, ainsi qu’une pilosité blanche résistante à tous les systèmes de rasage connus. Que seriez-vous devenus si c’était vous qui étiez atteints de ces maux ? Bien sûr, cela ne justifie pas les horribles images filmées sur son portable que vous avez pu voir tout à l’heure. Des scènes de sodomies de rennes et d’attouchements sur des lutins. D’où le sobriquet dont on l’affuble aujourd’hui : ordure. Un film serait même déjà en préparation…

Mais qui se souvient de ses souffrances à lui, quand, à peine sorti de l’enfance, après avoir triplé sa « Segpa » et redoublé sa 3^ème de Perfectionnement, il a obtenu péniblement son CAP de livreur. Alors que d’autres trouvaient facilement des jobs d’été et même de printemps et d’automne, lui ne décrochait qu’un boulot d’hiver en intérim. Au grand dam de son père qui le battait. Un vrai père Fouettard ! Quant à la femme de celui-ci, sa mère, si on  peut utiliser ce mot, toujours avinée et occupée à faire des gâteaux en cuisine ou à réparer les jouets que son mari trouvait dans les encombrants, elle le traitait de bon à rien et le mettait chaque jour à la porte de la maison familiale.

Tout cela devrait vous convaincre de donner une chance à ce Père Noël. En le dispensant de prison, voire en lui offrant comme cadeau un bracelet électronique, vous lui montrerez qu’il peut continuer à travailler et surtout qu’on peut encore croire en lui.

Jean-Tristan

Mesdames et messieurs les jurés, mon client, le Père Noël, est accusé de tant de maux entre lesquels vous n’arrivez pas à trouver le pire. Vous prétendez même qu’il maltraite psychologiquement les enfants en leur faisant croire qu’ils peuvent tout espérer, tout demander, tout exiger.

Et alors ? La génération « j’ai le droit » (du titre d’un livre paru récemment) a bien le droit de tout exiger – en particulier que la réalité se plie aux moindres de ses désirs et lui apporte tous ses rêves sur un plateau orné d’étoiles, posé au pied du sapin.

Vous trouvez cette mise en scène désuète et ridicule ? Vous affirmez que c’est de la maltraitance psychologique ? Vous préférez dire à vos enfants que le Père Noël n’existe pas ? Franchement, c’est votre droit et j’admets que cet argument est recevable sur le fond.

Mais il me semble qu’il y a là un vice de forme car la réalité ne doit pas être présentée de manière aussi crue. C’est VOUS qui maltraitez les enfants en les forçant à voir le monde tel qu’il est, sans la porte de sortie que constitue la croyance dans les pouvoirs de ce magicien à barbe blanche. Faut-il vous rappeler les maximes de base de notre monde : croyez en ce que vous voulez mais surtout : achetez et consommez !

Au nom de notre société de consommation (qui est déjà en train de déraper gravement à l’heure actuelle) je vous somme de reconnaitre que le message du Père Noël est nécessaire et que le fait de prétendre qu’il n’existe pas constitue une maltraitance psychologique à l’égard de l’humanité à venir.

Françoise